Écrire, c’est perdre des morceaux. Écriture et différence sexuelle dans Folle de Nelly Arcan
Écrire, c’est perdre des morceaux.
Écriture et différence sexuelle dans Folle de Nelly Arcan
Dans Folle, deuxième récit de Nelly Arcan paru en 2004, la narratrice et personnage Nelly[i] adresse une longue lettre à son ancien amant, où elle raconte leur rencontre et la relation qui s’est ensuivie, qui dure environ un an. À la suite de leur séparation, voulue uniquement par l’amant, Nelly se découvre enceinte, avorte, puis débute l’écriture de la lettre, censée être un testament de leur histoire ainsi que de sa dernière année de vie, Nelly ayant décidé depuis longtemps de se suicider le jour de ses trente ans.
La critique universitaire s’est longuement penchée sur le deuxième opus d’Arcan, en analysant notamment des éléments tels que la cyberpornographie[ii], la sexualité[iii], le masochisme[iv], l’aporie[v], le dispositif épistolaire et la tonalité ironique[vi]. Ces études s’accordent peu ou prou pour affirmer que l’écriture est un motif récurrent dans Folle, tant par le choix de la forme épistolaire, qui insiste sur l’acte d’écriture, que par les réflexions concernant l’écriture elle-même au sein du récit. En effet, celle-ci est porteuse à la fois des ressemblances et des différences irréductibles qui existent entre Nelly et son amant. Ils écrivent tous les deux : Nelly est une autrice qui a publié un premier roman à succès, l’amant est journaliste (pigiste, selon ses propres termes) et aspire à publier un jour un livre sur la pornographie. Lorsqu’ils se rencontrent, l’amant connaît « de nom » Nelly et est fasciné par son statut d’écrivaine reconnue, bien qu’elle avance que ce statut avait aussi pour effet de l’effrayer et de l’intimider[vii]. Or nous apprenons qu’au cours de leur relation, Nelly s’avère incapable d’écrire, notamment à cause de l’activité d’écriture de l’amant. De plus, leurs conceptions respectives de l’écriture sont aux antipodes et semblent irréconciliables ; pour l’amant, écrire un roman lui permettrait d’explorer librement un sujet et de réaliser un vieux rêve alors que pour Nelly, l’écriture est un acte destructeur qui, comme le résume José Calderón, « est de l’ordre de l’incommunicable, de l’incommunicabilité. Au bout du compte, écrire est un acte qui ne communique rien[viii] ».
Si l’écriture comme motif littéraire recèle ainsi une opposition radicale entre Nelly et l’amant et devient porteuse de leur différence, il convient de noter, avec Barbara Havercroft, que l’œuvre d’Arcan est bâtie sur plusieurs oppositions binaires, dont la vie et la mort, le vrai et le faux, le plaisir et la douleur, le sujet et l’objet, le masculin et le féminin, parmi lesquelles les textes oscillent[ix]. La réflexion sur l’acte d’écrire dans Folle se situe dans l’opposition entre masculin et féminin ; elle est informée par cette différence tout en l’informant à son tour. L’écriture est présentée comme étant indissociable de la sexualité des personnages et de leur corps sexué, sans pour autant se rapprocher des conceptions de l’écriture femme et du courant féministe différentialiste[x].
Cet article se propose donc d’étudier le lien entre l’écriture et la différence sexuelle entre Nelly et l’amant ou, en d’autres termes, le rôle que joue l’écriture dans la hiérarchie sexuelle que l’univers d’Arcan met en scène et critique. L’hypothèse avancée ici est que l’écriture constitue un volet de la différence radicale et irréconciliable entre les deux personnages, telle une fracture qui justifierait la fin de leur relation, et que cette différence est savamment construite par différentes stratégies discursives insistant sur le conflit.
La réflexion sera menée en quatre temps : il s’agira tout d’abord d’étudier la façon dont le statut d’écrivain est lié au regard et au corps sexuel, pour ensuite explorer les modalités d’écriture des deux amants qui reproduisent la relation prostitutionnelle ; en troisième lieu, nous évoquerons le silence littéraire de Nelly et terminerons par une analyse de sa conception destructrice de l’écriture.
Statut d’écrivain, corps sexuel et regard
La question de l’écriture surgit dès le début du récit, lors de la première rencontre entre Nelly et l’amant dans une boîte de nuit montréalaise. Il la reconnaît tout de suite en tant qu’autrice car il a entendu parler d’elle et de son passé dans la prostitution :
Tu savais que dans le passé j’avais été une pute, tu savais aussi que j’avais écrit un livre qui s’était vendu et pour ça, tu as cru que j’avais de l’ambition. La première fois que tu m’as vue, c’était chez Christiane Charrette où j’étais l’invitée d’honneur. À mes côtés se tenait Catherine Millet et derrière moi défilaient sur un écran des photos d’elle nue (F, p. 18).
Deux éléments du passé de Nelly sont ici évoqués : la prostitution et la publication d’un livre. Néanmoins, si le premier est évoqué par le verbe être et par l’essentialisation de l’identité (être « une pute » et non pas se prostituer), le deuxième l’est par le biais d’une action (écrire un livre et non pas être écrivaine). Ce déséquilibre formel annonce d’emblée l’étrange association entre le corps sexuel de Nelly et son écriture ; puisque la sexualité au sens large est le sujet de son premier livre, où elle raconte, sur un mode autofictionnel, son passé de prostituée, la promotion du livre tourne également autour de son apparence et elle est associée à une autre écrivaine qui raconte ses expériences sexuelles. Lorsqu’elle est vue par l’amant, elle est accompagnée par des photos d’une autre femme nue qui, dans ce dispositif télévisuel, remplacent les mots des deux écrivaines. En mettant l’accent sur cette scène, la narration semble suggérer que ce qu’elles présentent, ce sont plutôt leurs corps sexuels.
Ainsi, l’amant fait la rencontre de Nelly par la télévision, donc par son aspect physique, et non pas par son livre. Plus tard dans le récit, Nelly ajoute à ce sujet : « À Nova tu m’as dit que tu étais pigiste, que tu avais entendu parler de moi à la radio et dans les journaux, que tu m’avais déjà vue mais que tu ne m’avais pas encore lue » (F, p. 172). En écrivant « Me connaître avant de me connaître t’a induit en erreur » (F, p. 18), la narratrice insiste sur les conséquences négatives de ce mode de rencontre. Il a fait sa connaissance à travers sa réputation, ce qu’on disait d’elle, ainsi que sur son apparence physique, créant ainsi une image fantasmée de Nelly qui, selon elle, était loin de correspondre à la réalité. Cette image, qui n’était pas encore entachée par la rencontre des amants, est pour Nelly une source de regret, car elle affirme : « mon dieu ce que je donnerais pour continuer à vivre sous cette forme dans ton esprit » (F, p. 19).
Au fil du récit, l’amant se montre plusieurs fois plus intéressé par le statut d’auteur publié que par l’écriture de Nelly, dans la mesure où il envie le premier tout en rejetant le contenu de la deuxième. Cet intérêt se concentre sur le succès que le livre de Nelly a obtenu : « tu aimais que mon livre se soit bien vendu en France, c’était le signe que j’étais sortie du troupeau » (F, p. 143) ; « Tu n’aimais pas mon livre mais tu aimais mon succès, pour toi il n’y avait pas de liens entre les deux. En moi tu voyais une porte ouverte, tu te voyais à ma place » (F, p. 143). En effet, l’amant est présenté dans Folle comme un jeune journaliste dont l’ambition principale est de publier un roman, et ce, le plus rapidement possible. Cela le rapproche de Nelly et les deux cherchent, au début de leur relation, à travailler ensemble : « Face à face dans les cafés au temps où on ne se quittait jamais, on se toisait par-dessus nos écrans en attendant l’inspiration, on se soupçonnait de plagiat, on réfléchissait dans la confrontation » (F, p. 166). Il s’agit là d’un rare moment d’équilibre entre les deux où, l’un en face de l’autre, ils écrivent.
Le choix d’écrire dans un café confirme quant à lui la dimension visuelle et incarnée de l’écriture dans le récit ; tout comme Nelly est vue par l’amant à la télévision en tant qu’autrice, ils sont vus en tant qu’écrivains par les autres :
Mais surtout on écrivait dans les cafés parce qu’on aimait l’idée d’être vus dans les feux de la création, on aurait voulu fonder un mouvement artistique en écrivant un manifeste, on aurait voulu être à l’origine d’un courant de pensée. Il nous semblait que les clients des cafés étaient nécessaires pour entourer d’humanité nos aspirations ; dans notre narcissisme, il y avait toujours de la place pour un décor humain (F, p. 167).
Ce faisant, le regard des autres confirme et renforce leur statut d’écrivain et rassemble les deux amants, du moins dans ce passage, dans un « on » en opposition aux clients. En revanche, leur rapport à ce statut est radicalement différent :
Devenir écrivain était pour toi un vieux rêve et pour moi, l’aboutissement de mon asocialité. En écrivant dans les cafés, tu voulais entretenir l’image de l’écrivain vu en train d’écrire, tu voulais écrire dans la pensée du livre dont on aurait suivi toutes les étapes et auquel on pourrait associer l’air tourmenté et traversé par le doute de l’écrivain penché sur son clavier (F, p. 170).
Pour l’amant, c’est un objectif qui doit encore être réalisé, alors que, pour Nelly, c’est un événement qui s’est déjà produit, comme le montre le substantif « aboutissement », et qui ne relève pas tant de l’ambition mais de son isolement social. L’amant souhaite être rattaché à une « image de l’écrivain » fantasmée, qui serait visible dans son livre par ses efforts d’écriture ; encore une fois, ce n’est pas tant le contenu qui est mis en valeur mais plutôt l’incarnation de l’écrivain. Cette obsession de l’amant pour la gloire au détriment de l’écriture, qui est amplement moquée dans Folle, passe toujours par l’image, celle que l’amant attribue aux autres et à lui-même : « Un jour, tu m’as dit que, lors des prises de photos promotionnelles pour ton futur roman, tu fumerais une cigarette ; tu trouvais que les écrivains devaient s’opposer dans l’image à toutes les formes de propagande » (F, p. 170).
L’image de l’amant en train d’écrire occupe également les pensées de Nelly, et ce, plus que le contenu de son écriture :
Ta beauté justifiait tout ce que tu écrivais et en dehors des passages que ma jalousie m’interdisait de lire, te lire me faisait penser à toi en train d’écrire dans les cafés, en te lisant, j’avais un problème de promiscuité. En te lisant, je te voyais dans ta beauté qui prenait toute la place et qui ne s’adressait pas à moi, aussi je comprenais que tu existais bien avant que j’existe pour toi, ton passé me narguait, il me sortait de ta vie (F, p. 168-169).
L’écriture est ici étroitement liée à la beauté de l’amant et à l’image que Nelly a de lui ; en d’autres termes, l’action d’écrire renvoie immédiatement à la dimension visuelle, dissimulant et écrasant en quelque sorte le contenu. Le problème de promiscuité est donc celui d’une écriture trop incarnée, absolument dépendante de la personne qui la produit. Cette proximité, que l’on peut imaginer comme étant de nature sexuelle, est brusquement niée par la suite du passage, dans le sillage de l’oscillation permanente entre deux pôles opposés ; l’existence du corps de l’amant devient alors le témoignage qu’il a existé en dehors de Nelly, ce qui produit un mouvement d’éloignement. Le fait que l’amant puisse être « vu » non seulement par elle mais par d’autres femmes devient aussitôt une source d’inquiétude ; elle s’imagine à leur place, en train de « se pâmer sur [sa] carrure collée à l’écran du portable en face de [lui] » (F, p. 169), en détaillant ses attributs physiques qui ont tous pour point commun la grandeur (ses sourcils sont « massifs » au même titre que sa mâchoire, sa bouche est « immense ») qui, selon elle, refléterait forcément l’importance de ce qu’il écrit.
Ainsi, que ce soit pour Nelly ou pour l’amant, l’écriture renvoie avant tout à un regard posé sur l’écrivain ou l’écrivaine, sur son image, son statut et son corps sexuel. Toutefois, seul le corps de l’amant est associé à la force (par le biais de la grandeur) et à la beauté, alors que celui de Nelly la ramène à son passé de « pute ». C’est cette dichotomie qu’il s’agit maintenant d’approfondir.
La plume d’un client et celle d’une putain : écriture et sexualité
Le roman avec lequel Nelly a débuté sa carrière d’écrivaine racontait, à travers une écriture autofictionnelle, son passé d’escorte. Tel que mentionné plus haut, l’amant connaît d’avance Nelly, en tant qu’autrice et en tant qu’ancienne prostituée. De façon générale, le passé de Nelly revient régulièrement et de façon répétitive dans sa longue lettre, notamment lorsqu’elle évoque « les clients », tous ces hommes presque toujours indifférenciés. Dès le début, Nelly établit un parallèle entre les clients et l’amant, inscrivant celui-ci de leur côté par leurs pratiques sexuelles : « Avec toi, j’ai fait des choses que je n’avais faites qu’avec mes clients. Ensemble on a fait ce que les amoureux ne font habituellement pas » (F, p. 29). Un peu plus loin, elle ajoute : « Pendant cette semaine-là, je t’ai donné le peu que mes clients m’avaient laissé » (F, p. 38).
Si le binôme client-escorte semble colorer la relation entre Nelly et son amant, il apparaît également dans le domaine de l’écriture pour marquer, une fois de plus, une différence fondamentale et infranchissable entre les deux. Tout d’abord, l’amant a lui aussi fait de la sexualité son sujet d’écriture ; c’est ce que Nelly apprend le soir de leur rencontre :
Entre autres ce soir-là, tu m’as dit que souvent tu passais tes soirées à te branler, tu m’as aussi dit que tu avais déjà écrit dans Le Journal des articles sur la cyberporno et que, pour les écrire, tu avais dû faire beaucoup de recherches. Pour choisir les photos qui les accompagneraient, tu avais dû en passer plusieurs centaines en revue. Également tu étais en train d’écrire un roman sur le sujet et j’ai pensé encore un qui veut publier (F, p. 31).
Dans ce passage, l’acte masturbatoire se mêle à celui de l’écriture. Le verbe « branler » colore et oriente les autres syntagmes en apparence non sexuels (« beaucoup de recherches », « passer plusieurs centaines [de photos] en revue »). L’ordre sémantique laisse entendre que la masturbation précède et justifie l’écriture journalistique. Ce faisant, l’amant se situe du côté des consommateurs. Le parallèle avec la prostitution est mis au jour par l’amant lui-même par le biais d’une étrange comparaison : « Selon toi, le monde des médias ressemblait beaucoup au milieu de la prostitution, les journalistes étaient comme des clients qui aiment découvrir la chair fraîche, quand ils tombaient sur un nouveau jouet, ils le mettaient en circulation, ils se le passaient entre eux » (F, p. 54).
La cyberpornographie est considérée par l’amant comme une innovation, et c’est à ce titre qu’il souhaite en parler dans un roman. À l’enthousiasme face à la nouveauté et à l’avenir, Nelly oppose un regard résigné qui voit dans les sites pornographiques le prolongement de la prostitution, renforçant leurs visions irréconciliables :
Un jour tu m’as dit que tu voulais publier le plus rapidement possible pour être le premier à parler de sites pornos dans un roman, il te semblait que c’était là une innovation qui te ferait connaître. Pour toi, écrire voulait dire mettre à jour, ça voulait dire suivre l’actualité et avoir l’exclusivité. Tu écrivais dans la déformation professionnelle. Tu n’aimais pas que je te dise que dans cette fine pointe technologique qui reproduisait par le travail des pixels la réalité ne se trouvait rien de bien nouveau, qu’en fait on n’y trouvait que le plus vieux métier du monde comme on dit pour parler de la plus vieille manie de se soulager en singeant la conquête. Pour toi la nature humaine devait bien évoluer au même titre que le reste, par exemple tu croyais que depuis le phénomène de la pornographie du Net où on trouvait de tout et plus encore, des choses inouïes auxquelles on accédait dans la seconde et massivement sur la planète, personne n’avait plus aucune raison de se branler avec ses propres images mentales trop pâles et sans consistance, tu croyais que le Net avait rendu l’imagination désuète (F, p. 53).
Les raisons qui conduisent l’amant à « parler de sites pornos dans un roman » se trouvent ici questionnées et partiellement ridiculisées ; il le fait au nom du progrès et des évolutions technologiques, ce qui fait dire à Nelly qu’il écrit « dans la déformation professionnelle », celle du journaliste toujours en quête d’un nouveau sujet. Cependant, ce syntagme peut aussi être lu comme un renvoi à sa position de client/homme qui se branle, qui ne voit dans la cyberpornographie que ce qui lui plaît, c’est-à-dire une multitude de façons de soulager son désir. En rapprochant ces sites de la prostitution, Nelly replace l’amant dans son rôle de client ; si elle est une écrivaine-escorte, il sera donc un journaliste-client.
Cette différence se manifeste dans le style d’écriture de l’amant. Lorsque celui-ci fait lire à Nelly des passages du texte sur lequel il travaille, elle commente :
Tu avais la plume d’un client. Dans tes pages les femmes passaient en série et en majorité, elles étaient brunes. Tu y racontais ta fixation des femmes bottées, tu disais avoir les bottes dans le sang […], personne n’y pouvait rien ni même les femmes qui ne te visaient pas nécessairement avec leurs bottes ; simplement, les bottes prolongeaient tes érections envers et contre tous (F, p. 166).
Qu’est-ce qu’une « plume d’un client » pour Nelly ? C’est une plume où les femmes, toujours au pluriel, sont écrites en tant qu’objets, points de fixation, au même titre qu’une paire de bottes ; elles existent pour exciter celui qui écrit et ne sont mentionnées que pour ce faire. Le passage en série dont il est question ici rappelle le passage en revue du journaliste-client qui doit choisir des photos pour ses articles sur la cyberpornographie. En ajoutant le détail sur les cheveux bruns, Nelly insiste sur sa propre blondeur et sous-entend une incompatibilité entre les goûts de l’amant et l’apparence de Nelly. La couleur des cheveux renforce également l’effet sériel de ces femmes qui se ressemblent toutes.
La plume d’un client, c’est aussi une plume qui écrit avec légèreté, aux antipodes de celle de Nelly :
Il me semblait, en t’entendant taper sur ton clavier, qu’en écrivant tu touchais aux femmes que tu écrivais et que tu les abordais par la badinerie, il me semblait qu’en tant que client, tu avais l’avantage d’écrire à la légère, que dans tes mains, les femmes devenaient des anecdotes. Dès le début, la différence de ton sexe me faisait mal parce que le mien ne l’équivalait pas, le mien regardait en bas, j’avais le sexe grave (F, p. 166).
Le geste de l’écriture finit non seulement par écrire les femmes mais aussi par les toucher. Leur objectification les transforme en anecdotes ; ces petites histoires à raconter lors d’un moment de légèreté ont pour effet de les réduire, dans tous les sens, à leur sexualité et à leur fonction excitante. Nelly observe cette écriture en se situant de l’autre côté du livre, puisqu’elle se retrouve, du fait de son expérience passée l’ayant marquée jusqu’à ce moment-là, parmi ces femmes touchées, écrites par les mains du client. Par le biais d’un glissement, le binôme client-prostituée devient celui homme-femme. Le premier a droit à la légèreté, alors que la deuxième est rivée à la pesanteur de son propre sexe. C’est à partir de cette différence qu’il convient d’aborder le silence littéraire que Nelly met en scène dans Folle.
Silence, amour et mélancolie
Concernant l’activité d’écriture de l’amant, Nelly affirme : « Que tu écrives m’a longtemps empêchée d’écrire. Si tu m’avais aimée pour la vie, j’y aurais renoncé à jamais. Quand tu es entré dans ma vie, je t’ai donné toute la place en sachant que tu n’en demandais pas tant, tout le monde sait que trop donner est une déviance » (F, p. 171). Ce faisant, elle établit un lien entre leur relation amoureuse et sa capacité à écrire ; le récit qu’on lit n’est possible que parce que l’amant a disparu de sa vie. La période de la relation coïncide ainsi avec ce que l’on pourrait appeler le silence littéraire de Nelly, où elle ne parvient pas à écrire ou considère comme un échec le peu qu’elle écrit. Il nous importe alors de comprendre comment ce silence et cette incapacité à écrire sont mis en scène au moment même où le récit est en train de s’écrire et quel rôle y joue la figure de l’amant.
Au début de leur relation, Nelly et lui se rendent au chalet du grand-père de l’autrice ; elle remémore : « Là-bas au chalet, tu ne voulais pas me voir travailler à mon mémoire de maîtrise ni même lire les romans de Céline que tu avais apportés dans tes bagages » (F, p. 42). Elle ajoute aussitôt : « Ce n’était pas grave parce qu’à ce moment de ma vie, je ne faisais rien, pas même écrire » (F, p. 43). Pour Isabelle Boisclair, le fait que l’amant empêche Nelly d’accomplir une activité intellectuelle s’inscrit, de façon plus large, dans l’entreprise de négation de sa subjectivité. Dans ce contexte, « [la] négation du corps féminin réussit presque à affecter le pouvoir-dire du sujet féminin[xi] ». En ce qui concerne l’écriture, plusieurs passages laissent entendre que l’amant se place au-dessus de Nelly, en prodiguant des conseils quant à sa performance d’écrivaine dans les médias ; il lui fait remarquer « les erreurs » qu’elle a faites par le passé et son « inexpérience » qui « avait permis à certains de [la] ridiculiser » (F, p. 54).
Rien de ce qu’elle est censée écrire ne semble fonctionner. C’est aussi le cas du mémoire de maîtrise ; celui-ci, nous dit-elle, « affolait ma directrice parce qu’elle constatait mes problèmes de syntaxe […] Pour elle le dérèglement de la langue allait de pair avec des problèmes d’ordre mental, c’était une lacanienne. Elle seule savait que sur le marché de la publication, j’étais un imposteur » (F, p. 43). C’est donc une atmosphère d’échec qui entoure le geste d’écriture et qui est renforcée par la présence de l’amant :
Malgré mes efforts pour écrire pendant notre histoire, je n’écrivais rien et j’ai dû te mentir sur le contenu de mes journées comme j’ai dû mentir aux hommes qui sont passés dans ma vie quand je me prostituais. L’amour me rendait inepte, dans cette joie nouvelle qui habitait ma vie, je n’avais plus rien à dire. De ton côté tu écrivais des articles et ton roman, et moi je n’écrivais rien ou plutôt j’écrivais n’importe quoi, des raclures, des nouvelles ratées, un mémoire de maîtrise basé sur les théories lacaniennes où il est démontré que les théories lacaniennes ont toujours raison et où l’on meurt d’ennui. Il est possible que, pendant des mois, j’aie attendu ton départ pour tout te décharger sur le dos, dans le passé, j’ai fait la même chose avec mes clients (F, p. 167).
De ce passage émerge la figure de la femme amoureuse, incompatible avec celle de l’autrice ; comme le rappelle Rosemarie Savignac dans son étude consacrée à Folle et à la posture de l’amoureuse épistolaire, celle-ci « ne possède aucune identité sociale autre que celle de la femme amoureuse[xii] », ce qui expliquerait son silence.
De plus, le silence est associé à la « joie nouvelle » procurée par la relation amoureuse. Cet état s’oppose en quelque sorte à celui mélancolique dont l’écriture arcanienne semble porteuse, dans la mesure où la mort annoncée des différentes narratrices est souvent mise en scène, comme dans le cas de Folle[xiii]. La notion de mélancolie, qui est généralement associée, dans l’imaginaire collectif, à des élans créatifs[xiv], entretient également un lien, du moins dans sa conception moderne, avec le féminin et le silence. En effet, dans son étude historique et philosophique de la mélancolie et de la dépression, Jennifer Radden montre, dans le sillage des études de Julia Kristeva, de Judith Butler et de Luce Irigaray, le contraste entre la mélancolie masculine plutôt loquace et la souffrance muette, voire le deuil, des femmes : « Melancholy with its loquacious male subject leaves little room for the mute suffering of women. Women, instead, are victims of depression[xv] ». Dans Soleil noir, Kristeva poursuit en effet l’intuition freudienne qui relie la mélancolie à la perte et à l’identité[xvi], en insistant néanmoins sur l’affinité entre la mélancolie et le féminin : « women’s estrangement from language is explained by an estrangement from the self, associated with the inevitably masculine “author” of the “self-narrative”[xvii] ».
Comment articuler alors le rapport entre le silence de l’écrivaine et la mélancolie dans Folle ? L’impossibilité d’écrire de la part de Nelly se situe, comme l’avance Boisclair, dans un mouvement plus vaste de négation de sa subjectivité, qu’elle soit corporelle, intellectuelle ou psychologique. Face à la voix de l’amant, celle féminine se tait, quoique de façon temporaire, car dès qu’il disparaît de la vie de Nelly, la voix de celle-ci réapparaît avec force. Il s’agit cependant d’une force mélancolique, porteuse du silence qui lui a été imposé par l’amant, mais aussi par Nelly elle-même[xviii]. Dans tous les cas, il convient de remarquer, une fois de plus, que l’état de Nelly s’avère être toujours aux antipodes de celui de son amant ; dans cette différence radicale, ils ne peuvent pas écrire en même temps mais les rôles ne sont pas figés, puisque Nelly finit par écrire et « tout [lui] décharger sur le dos », comme une forme de vengeance. Cette différence est même énoncée dans le récit sous forme de deux conceptions de l’écriture qui s’opposent et qui semblent irréconciliables.
L’écriture qui libère et celle qui détruit
La réflexion concernant l’écriture apparaît au moment où le récit prend une pause narrative[xix], dans la deuxième moitié du texte. À ce moment-là, Nelly tient à souligner qu’il existe entre leurs écritures une différence de fond. Après avoir montré l’importance pour l’amant du statut d’écrivain, sa plume de client qui consomme et qui consume, ainsi que sa loquacité écrasante en opposition au silence de Nelly, celle-ci présente l’écriture de l’amant comme un double mouvement, vers le haut et vers l’extérieur.
Toi tu écrivais autrement, tu avais du charme. Tu étais du côté des super-héros, des types sympas, des tombeurs et des filles mouillées, écrire était écrire vers le haut. Contrairement à moi, écrire devait dissiper tout malaise chez le lecteur qui devait se sentir chez lui et consentir aux tombeurs et aux filles mouillées, écrire voulait dire compenser, c’était se venger de sa médiocrité, c’était se rattraper en héroïsme (F, p. 168).
L’écriture qui tend vers le haut est légère, comme la plume du client face au « sexe grave » de Nelly ; débarrassée de toute lourdeur qui opprime, elle est une aspiration dans le sens où elle vise à dépasser la situation actuelle et à transformer celui qui écrit en un super-héros dont les capacités extraordinaires sont cachées au quotidien. Dans cette vision, l’homme est toujours agent (le substantif « tombeurs » insiste sur l’action active) et la femme est cantonnée, de façon passive, au participe passé (« mouillées »). Bien que toutes les figures évoquées dans ce passage soient associées au « charme » et à un état d’esprit positif, la plume de Nelly ne cache pas son jugement (« sa médiocrité », « se rattraper »), sous-entendant que cette conception de l’écriture serait propre à ceux et celles qui veulent donner une image d’eux-mêmes meilleure que la réalité ou qui ne pensent qu’au confort du lectorat et à son avis[xx]. Ce commentaire revient sur l’obsession de l’amant vis-à-vis de son image, de la façon dont il est perçu par le regard des autres et de son intérêt démesuré pour le succès et les ventes du livre. À cette conception de l’écriture, Nelly oppose la sienne :
Chez moi écrire voulait dire ouvrir la faille, écrire était trahir, c’était écrire ce qui rate, l’histoire des cicatrices, le sort du monde quand le monde est détruit. Écrire était montrer l’envers de la face des gens et ça demandait d’être sadique, il fallait pour y parvenir choisir ses proches et surtout il fallait les avoir follement aimés, il fallait les pousser au pire d’eux-mêmes et vouloir leur rappeler qui ils sont (F, p. 168).
Dans ce passage, son écriture se situe de l’autre côté, celui de la destruction. C’est surtout dans le rapport aux autres qu’elle diffère de celle de l’amant ; loin de les soulager et d’être complaisante, elle peut leur faire mal, car elle se doit d’exposer « ce qui rate ». Il est aisé de comprendre que c’est précisément ce qu’est en train de faire Nelly dans cette lettre adressée à l’amant qui le tire vers le bas, là où il l’a entraînée, là où elle est clouée. Néanmoins, cette trahison ne s’adresse pas seulement aux autres, mais à Nelly elle-même, à ses blessures et à ses échecs. Il s’agit d’une écriture qui reflète sans fioritures et qui se veut comme un miroir, pour reprendre l’image suggérée par Calderón : « Par l’écriture comme miroir, non seulement Arcan rend compte de l’infernale relation avec l’autre, mais aussi de la destructrice relation avec soi-même comme un autre. L’altérité dans les textes d’Arcan est par conséquent toujours une force de destruction du sujet[xxi] ».
Le caractère destructif de l’écriture de Nelly se manifeste avant tout à l’égard d’elle-même :
Tu ne savais pas encore que, si la destruction se vendait partout, elle pouvait également sortir des livres. Pour toi écrire voulait seulement dire écrire et non mourir au quotidien, écrire voulait dire l’histoire bien ficelée de l’information et non la torture, à cet égard tu disais que ton journalisme était efficace et mon écriture, nocive (F, p. 143).
Ici, il n’est plus question de « l’histoire des cicatrices », en ce que l’acte d’écrire inflige lui-même des blessures (« mourir au quotidien », « torture »). Le lien entre la mort et l’écriture revient lorsque l’amant lui dit qu’il veut écrire pour éviter le ton neutre et le peu de place dans l’écriture journalistique, qu’il veut de la liberté : « il me semblait que ce rêve d’écrire trouvait son origine dans un malentendu, celui de l’autonomie et de la libre expression claironnant la vérité ; il me semblait qu’en écrivant on ne libérait rien du tout, que plutôt on s’aliénait, qu’on se mettait la corde au cou » (F, p. 172). En ce sens, l’écriture de l’amant tend vers l’extérieur, avide de liberté, tandis que celle de Nelly l’enferme à l’intérieur. De nombreuses études sur l’œuvre d’Arcan ont remarqué à juste titre le caractère circulaire et sans issue de ses récits, ainsi que, dans Folle, son écriture « répétitive [qui] tourne et tourne le fer dans la plaie psychique de la peine d’amour[xxii] ». C’est aussi un retour incessant vers le passé, qui ne peut pas être changé mais qui fait obstruction : la fin de la relation est ainsi revécue plusieurs fois. Cela rappelle la « temporalité décentrée » propre, selon Kristeva, à l’état mélancolique :
Massif, pesant, sans doute traumatique parce que chargé de trop de peine ou de trop de joie, un moment bouche l’horizon de la temporalité dépressive, ou plutôt lui enlève tout horizon, toute perspective. Fixé au passé, régressant au paradis ou à l’enfer d’une expérience indépassable, le mélancolique est une mémoire étrange : tout est révolu, semble-t-il dire, mais je suis fidèle à ce révolu, j’y suis cloué, il n’y a pas de révolution possible, pas d’avenir… Un passé hypertrophié, hyperbolique, occupe toutes les dimensions de la continuité psychique. Et cet attachement à une mémoire sans lendemain est sans doute aussi un moyen de capitaliser l’objet narcissique, de le couver dans l’enclos d’un caveau personnel sans issue[xxiii].
Dans la répétition, le temps du récit et son caractère linéaire sont affectés. Nelly rapporte, non sans ironie, les propos d’un ami de l’amant, lui aussi aspirant écrivain, pour établir un lien entre cette temporalité et son identité sexuelle : « [Il] voulait publier un livre qui n’était pas comme le mien, disait-il, son livre racontait une histoire supportée par une action qui avait son début et sa fin ; à l’intérieur il y avait une intrigue et du suspens, c’était un livre pour hommes » (F, p. 182). Le caractère destructif de l’écriture scelle la fin du récit :
Il me semble aussi que cette lettre est venue au bout de quelque chose ; elle a fait le tour de notre histoire pour frapper son noyau. En voulant le mettre au jour, en voulant y entrer, je ne me suis que blessée davantage. Écrire ne sert à rien, qu’à s’épuiser sur de la roche ; écrire, c’est perdre des morceaux, c’est comprendre de trop près qu’on va mourir. De toute façon les explications n’expliquent rien du tout, elles jettent de la poudre aux yeux, elles ne font que courir vers un point final.
Cette lettre est mon cadavre, déjà, elle pourrit, elle exhale ses gaz. J’ai commencé à l’écrire le lendemain de mon avortement, il y a un mois (F, p 205).
Dans ce « travail de destruction de l’écriture[xxiv] », « perdre des morceaux » devient une activité d’automutilation créatrice. La page qui est en train d’être écrite se confond avec le corps et avec l’identité de Nelly, au moment même où elle annonce son échec ; l’écriture n’a pas permis de comprendre mais seulement de se faire mal. Ainsi, on revient à l’idée que l’écriture relève de l’incommunicabilité et qu’elle ne peut pas être libératrice. Finalement, c’est la conséquence de l’écriture qui diffère : si l’un des deux peut en sortir intact et s’avère « efficace », l’autre ne peut que se perdre dans ses propres morceaux et être « nocif ». L’écriture devient une attaque faite à son propre corps et à sa propre personne.
Dans Folle, l’écriture participe de la construction du sujet féminin en opposition au masculin. Le récit cherche en effet à construire une opposition binaire entre Nelly et l’amant ; l’écriture, qui pourrait être leur point commun, est présentée comme une différence d’ordre sexuel. Tandis que l’amant peut se permettre, depuis sa position de consommateur de contenu pornographique, d’écrire les femmes en tant qu’objets sexuels et prolongements de ses fantasmes, faisant de l’écriture un espace de déploiement de sa sexualité, Nelly écrit en tant qu’objet sexuel elle-même : la sexualité est une barrière qui les sépare et qui empêche toute forme d’empathie. Dans ce monde rigide présenté dans Folle, l’homme écrit et la femme se tait, l’homme se libère et la femme ne fait que s’aliéner davantage. Il faut néanmoins garder à l’esprit que ce qui est dit à l’intérieur du récit peut être contredit par la publication du récit lui-même : c’est la voix de Nelly que l’on entend à travers Folle et non pas celle de l’amant. Son silence littéraire est ainsi mis en scène pour que la parole frappe encore plus fort.
Ce qui semble certain, c’est que l’écriture est indissociable du corps sexuel, du regard qui lui est adressé et des expériences dont il est porteur. L’œuvre de Nelly Arcan n’a eu de cesse d’explorer les implications, tant psychologiques et symboliques que politiques et sociales, de la division, foncièrement déséquilibrée, entre les hommes et les femmes. L’écriture comme motif récurrent dans Folle parvient à informer et à prolonger cette exploration.
[i] Tout au long de cet article, Nelly désignera la narratrice et personnage, tandis qu’Arcan désignera l’autrice de Folle.
[ii] Isabelle Boisclair, « Cyberpornographie et effacement du féminin dans Folle de Nelly Arcan », Globe, vol. XII, n° 2, 2009, p. 71-82.
[iii] Élyse Bourassa-Girard, « Sexualité impersonnelle dans Folle de Nelly Arcan : l’expérience de la désubjectivation », dans Lori Saint-Martin, Rosemarie Fournier-Guillemette et Marie-Noëlle Huet (dir.), Entre plaisir et pouvoir : lectures contemporaines de l’érotisme, Montréal, Nota bene, 2012 p. 145-168.
[iv] Joëlle Papillon, Le désir et ses stratégies discursives dans les littératures française et québécoise au féminin, 1995-2005, Thèse de doctorat, Université de Toronto, 2011.
[v] Jorge Calderón, « Aporie, performance et négativité : une lecture de Putain et de Folle de Nelly Arcan », dans Isabelle Boisclair, Christina Chung, Joëlle Papillon et Karine Rosso (dir.), Nelly Arcan : trajectoires fulgurantes, Montréal, Remue-ménage, 2017, p. 205-222.
[vi] Rosemarie Savignac, Écrire après la passion : stratégies épistolaires, survivance du temps de l’amour et ironie vengeresse dans Folle de Nelly Arcan, Mémoire de maîtrise, Université de Québec à Montréal, 2017.
[vii] « Pendant les premières semaines de notre histoire, je te faisais peur à cause […] de mon statut d’auteur publié » (Nelly Arcan, Folle, Paris, Seuil, « Points », 2004, p. 48). À partir de maintenant, tout renvoi à cette œuvre sera noté dans le corps du texte sous la forme (F, p. X).
[viii] Jorge Calderón, op. cit., p. 215).
[ix] Barbara Havercroft, « (Un)tying the Knot of Patriarchy: Agency and Subjectivity in the Autobiographical Writings of France Théoret and Nelly Arcan », dans Julie Rak (dir.), Auto/biography in Canada: Critical Directions, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2005, p. 219.
[x] L’écriture femme, qui peut être considérée comme un mouvement d’avant-garde littéraire des années soixante-dix, revendique une spécificité dans l’écriture féminine et cherche à réinventer la langue pour se défaire du phallogocentrisme. En France, elle est portée, entre autres, par Hélène Cixous et Luce Irigaray et a été associée au courant différentialiste du féminisme, qui s’oppose, d’un point de vue théorique, au courant matérialiste. Au sujet de l’écriture femme, voir Béatrice Didier, L’Écriture-femme, Paris, PUF, « Écriture », 1999.
[xi] Isabelle Boisclair, op. cit., p. 75.
[xii] Rosemarie Savignac, op cit., p. 24.
[xiii] La question de la mort revient notamment dans Burqa de chair, publié à titre posthume en 2011.
[xiv] Julia Kristeva, Soleil noir : mélancolie et dépression, Paris, Gallimard, 1987 ; Jennifer Radden, Moody Minds Distempered : Essays on Melancholy and Depression, New York, Oxford University Press, 2009.
[xv] « La mélancolie du sujet masculin loquace laisse peu de place à la souffrance muette des femmes. Celles-ci sont plutôt victimes de dépression », ibid., p. 54, traduction personnelle.
[xvi] Kristeva qualifie la mélancolie d’un « gouffre de tristesse » qui absorbe le sujet au point de lui « faire perdre le goût de toute parole, de tout acte, le goût même de la vie » (op. cit., p. 13).
[xvii] « Le fait que les femmes soient séparées du langage s’explique par leur séparation du Soi, associé à l’“auteur”, inévitablement masculin, du “récit de soi” », Jennifer Radden, op. cit., p. 45, traduction personnelle.
[xviii] S’il est certain que l’amant participe, par ses gestes et par ses commentaires, à saper la confiance de Nelly, il est aussi vrai que, comme le remarque Joëlle Papillon, « Nelly prête à l’amant la volonté de la couper de tout ce qui l’éloigne de lui » (op. cit., p. 90); pour le dire autrement, elle lui attribue une force, par le biais de tournures hyperboliques, capable de l’anéantir, y compris d’un point de vue littéraire.
[xix] Je suis ici le découpage de Folle proposé par Savignac : nous sommes au septième chapitre, où est fait, sur un mode itératif, « un résumé rétrospectif de la relation à la lumière du thème de l’écriture », et où « le récit fait donc une sorte de pause narrative pour décrire les sentiments et les pensées des personnages » (Rosemarie Savignac, op. cit., p. 50).
[xx] À ce sujet, elle ajoute : « On avait chacun nos conceptions de l’écriture. Pour toi écrire voulait dire surprendre tout le monde par des idées nouvelles sur des sujets tabous et pour moi, prendre le temps de ne plus être entendue. L’autre côté de la médaille de mon premier livre était son poids énorme qui écraserait le second » (F, p. 167-168).
[xxi] Jorge Calderón, op. cit., p. 214-215.
[xxii] Rosemarie Savignac, op. cit., p. 59.
[xxiii] Julia Kristeva, op. cit., p. 71.
[xxiv] Rosemarie Savignac, op. cit., p. 65.