« Changer ou partir » : Poétique de l'exil
Mais l’on peut se douter que si la peur de l’étranger a vraisemblablement toujours incité à confronter l’Autre au fameux paradigme « changer ou partir », les différents contextes dans lesquels ce paradigme ne cesse d’être formulé confèrent à l’exil un sens en mutation constante, dont chaque signifié requiert en retour une mise en texte qui lui est propre.
Extrait de l'appel à communications
La 8e édition du colloque estudiantin de l'ADELFIES s'est tenue à l'Université McGill les 28 et 29 janvier 2016.
Appel à communications :
Dans un contexte d’instabilité politique accrue doublé d’une crise économique prolongée, il n’est guère étonnant de constater que les discours d’extrême droite opposent de plus en plus ouvertement une politique d’assimilation à la promotion de la différence qui s’est imposée comme valeur sociale à partir des études culturelles[1]. « Changer ou partir » : voilà le choix auquel l’ethos nationaliste confronte aujourd’hui encore les minorités culturelles, comme l’a récemment commenté Marie-Michèle Sioui, journaliste de La Presse, en résumant ainsi la posture que la division québécoise de la PÉGIDA a adoptée à l’égard des communautés musulmanes[2].
Sans doute est-ce en réaction à la montée de tels discours que l’on assiste présentement à une multiplication de congrès scientifiques sur le thème de l’exil, depuis les nombreux colloques du groupe de recherche Poexil[3] jusqu’au récent colloque de Marseille « Figurer l’exil » visant l’établissement d’une nouvelle discipline consacrée aux « études exiliques » (19-23 mai 2015)[4]. C’est toutefois dans la volonté de joindre le politique au poétique que nous invitons les jeunes chercheurs à se pencher sur l’usage de ce terme dans le cadre du 8e colloque estudiantin du département de Langue et de Littératures françaises de McGill qui se tiendra les 28 et 29 janvier 2016.
Une meilleure compréhension de l’évolution historique de cette notion problématique peut-elle nous permettre d’interroger plus en-avant les questionnements thématiques issus des littératures migrantes[5]? Certes – à moins de voir dans l’exil une notion transhistorique qui englobe tout aussi bien l’errance d’Ulysse que Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome (2003), en passant par le développement du registre élégiaque qui chantait la nostalgie de la terre natale (les Tristes d’Ovide, les Regrets de Du Bellay), et jusqu’au renversement de cette tradition par la poésie romantique qui célébrait l’ailleurs (Rimbaud). Mais l’on peut se douter que si la peur de l’étranger a vraisemblablement toujours incité à confronter l’Autre au fameux paradigme « changer ou partir », les différents contextes dans lesquels ce paradigme ne cesse d’être formulé confèrent à l’exil un sens en mutation constante, dont chaque signifié requiert en retour une mise en texte qui lui est propre.
Si l’on en croit le dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), le premier usage français du terme qui remonte à la Chanson de Roland sert à illustrer ce propos[6], dans la mesure où le terme exil – entendu comme « détresse, malheur, tourment » – ne renvoyait pas dans ce contexte à la détresse de celui qui est contraint de vivre hors de son pays, mais bien au malheur qu’aurait ressenti la France face à la perte de Roland ; renversant de ce fait la configuration voulant que l’exil soit une situation dans laquelle un sujet est plongé lorsqu’il ou elle se retrouve, volontairement ou non, éloigné-e de la culture qui a contribué à la formation de son identité. Aussi convient-il de garder à l’esprit l’empreinte que le XIXe siècle a laissé sur cette notion suite au développement de la conscience nationale qui a accompagné des événements tels que le printemps des peuples (1848), l’unité allemande et l’unité italienne, tout en réfléchissant à la manière dont nous pouvons dépasser ce cadre référentiel pour penser l’exil autrement.
Les conférencier-ère-s de toutes disciplines pourront emprunter de multiples avenues pour aborder ce thème de réflexion, dont voici quelques suggestions auxquel-le-s ils-elles ne sont pas tenu-e-s de se limiter :
- Le thème de l’exil, contraint ou volontaire, dans les études culturelles, la littérature migrante et la littérature de la francophonie ;
- Le parallélisme entre la notion d’exil et de nationalisme et une interrogation portant sur l’avenir de ces phénomènes ;
- L’analyse de discours s’intéressant par exemple à la montée en puissance des discours xénophobes dans l’espace public contemporain et les stratégies rhétoriques par lesquelles ces discours redéfinissent l’exil ;
- La critique d’œuvres littéraires ayant pour thème l’errance, la dérive, la perte de repères, l’éloignement physique, mais aussi temporel de soi-même et la disparition d’une identité ;
- L’imaginaire de la terre promise et les utopies valorisant l’exil comme moyen de créer une société parfaite ;
- L’analyse étymologique et historiographique s’intéressant à l’évolution de la notion d’exil depuis l’Ancien Régime jusqu’à l’ère contemporaine.
[1] Comme en témoigne par par exemple l’ouvrage de Isaiah Smithson et Nancy Ruff, English Studies/ Culture Studies : Institutionalizing Dissent, Urbana/Chicago, University of Illinois, 1994.
[2] Dans le numéro du 20 septembre 2015 du journal La Presse, Marie Michèle Sioui explique que la division québécoise de PÉGIDA (l’acronyme allemand de « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident ») a été créée par Jean-François Asgard, un Québécois qui estime que les musulmans qui habitent la province doivent « changer ou partir » (http://www.lapresse.ca/actualites/elections-federales/201509/20/01-4902188-une-candidate-du-bloc-appuie-pegida-quebec-par-erreur.php, accédé le 21/09/2015).
[3] Entre 2001 et 2008, le groupe de recherche Poexil a organisé chaque année une conférence sur ce thème à Montréal, à Ottawa ou à Québec. Pour des informations relatives à ces événements, consulter: http://www.poexil.umontreal.ca/events/colloques.htm (accédé le 21/09/2015).
[4] Voir l’appel de communication sur le site « Non-lieux de l’exil » : http://nle.hypotheses.org/2706 (accédé le 21/09/2015).
[5] Pour une définition de l’écriture migrante, nous invitons le lecteur à consulter l’article de Daniel Chartier : « Les origines de l’écriture migrante. L’immigration littéraire au Québec au cours des deux derniers siècles », Voix et Images, vol. XXVII, nº2 (80), 2002, p. 303-316. « L’écriture migrante (…) s’inscrit dans la mouvance plus générale du postmodernisme qui (…) remet en question l’unicité des référents culturels et identitaires. » (p. 303-304).
[6] Le site du CNRTL renvoie aux vers aux vers 2933-2937 de la Chanson de Roland dans l’édition de J. Bédier : « Ami Rollant, de tei ait Deus mercit ! L’anme de tei seit mise en pareïs ! / Ki tei ad mort France ad mis en exill. / Si grant dol ai que ne voldreie vivre/ De ma maisnee, ki pur mei est ocise ! » (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/exil, accédé le 21/09/2015). La traduction de ces vers est disponible en libre accès sur le site de wikisource (« Ami Roland, que Dieu te fasse merci ! Que ton âme soit mise en paradis ! Celui qui t’a tué, c’est la France qu’il a jetée dans la détresse !… J’ai si grand deuil, je voudrais ne plus vivre ! », laisses 201 à 250, CCX).